Journal Club Septembre 2025, analysé par Violaine Randrian (CHU de Poitiers, PROgression et DIssémination des CEllules Tumorales (PRODICET) – Université de Poitiers)

Nerve-to-cancer transfer of mitochondria during cancer metastasis

Nature 2025 Aug;644(8075):252-262. doi: 10.1038/s41586-025-09176-8

Gregory Hoover, Shila Gilbert, Olivia Curley, Clémence Obellianne, Mike T Lin, William Hixson, Terry W Pierce, Joel F Andrews, Mikhail F Alexeyev, Yi Ding, Ping Bu, Fariba Behbod, Daniel Medina, Jeffrey T Chang, Gustavo Ayala, Simon Grelet

Le micro-environnement tumoral fait l’objet de recherches intensives sur ses capacités à influencer le comportement des cellules cancéreuses. A l’instar des cellules immunes et des fibroblastes, la communauté s’intéresse aux neurones. Y a-t-il un dialogue entre neurones et cellules cancéreuses ? Le travail de Gregory Hoover et ses collègues publié dans Nature en Juin 2025 montrent que les neurones tumoraux subissent une reprogrammation métabolique en présence de cellules cancéreuses. Non seulement, ils accroissent leur nombre de mitochondries mais, plus surprenant encore, ils sont capables d’en transférer aux cellules cancéreuses. Les cellules de la tumeur primitive qui reçoivent ces organelles neuronales sont particulièrement nombreuses dans les sites métastatiques. Cet enrichissement en cellules cancéreuses avec mitochondries neuronales est d’ailleurs encore plus marqué dans les métastases cérébrales. De plus, l’influence des neurones de la tumeur primitive sur l’agressivité des cellules cancéreuses décrites dans le cancer du sein est également observée dans le mélanome. Ces découvertes éclairent les mécanismes de développement de métastases, notamment cérébrales.

Dans un premier temps, les chercheurs ont travaillé sur des modèles murins en induisant pharmacologiquement la dénervation de tumeurs développées à partir de lignées murines et de xénogreffes humaines de cancer du sein. La dénervation a modifié le programme cellulaire de transcription notamment en diminuant l’expression de voies de signalisation métaboliques. De plus, la formation de lésions invasives a été diminuée par trois dans les tumeurs dénervées.

La co-culture de cellules cancéreuses avec des cellules souches neuronales a induit la différenciation de ces dernières en neurones fonctionnels, capables de générer des potentiels d’action. Le métabolisme de ces neurones est accru avec un enrichissement en ADN mitochondrial. Les cellules cancéreuses en co-culture présentaient une respiration mitochondriale augmentée.

Ces différents signaux ont conduit les chercheurs à explorer spécifiquement l’hypothèse d’un transfert de mitochondries entre neurones et cellules cancéreuses. En insérant une construction eGFP verte pour marquer les mitochondries et des cellules de cancer du sein mCherry rouge, ils ont pu observer l’apparition de cellules à la fois rouges et vertes en cytométrie en flux. Mieux encore, ils ont pu observer directement la formation de nanotubes intercellulaires et l’apparition d’organelles vertes, donc des mitochondries, dans le cytoplasme des cellules cancéreuses par microscopie.

Dans un second temps, ils ont caractérisé ce phénomène fascinant en répondant à plusieurs questions émergentes :

-Comment ?

Le transfert de mitochondries entre neurones et cellules cancéreuses se fait préférentiellement par contact direct puisque la culture en compartiments séparés dans une chambre de Boyden annule ce phénomène.

Avec quelle spécificité ?

Les neurones sont particulièrement compétents pour ce transfert en comparaison aux fibroblastes et aux adipocytes par exemple.

-Qu’est-ce qui est transféré ?

Les mitochondries transférées sont tout à fait fonctionnelles. Les cellules cancéreuses dont l’ADN mitochondrial est éliminé sont capables de prolifération et présentent des mitochondries fonctionnelles après co-culture avec des neurones.

Selon quelle cinétique ?

Il s’agit d’un phénomène de long terme puisque cette réapparition de d’ADN mitochondrial neuronal dans des cellules cancéreuses avec des neurones est progressive après  8 à 15 semaines de co-culture.

-Quelles propriétés les cellules cancéreuses acquièrent-elles concomitamment des mitochondries neuronales ?

Les chercheurs ont mis au point un rapporteur génétique fluorescent appelé MitoTRACER en utilisant une méthode de recombinase Cre ciblant les mitochondries neuronales. En cas de transfert de mitochondries, la cellule cancéreuse « récipiendaire » porteuse d’un site de recombinaison Lox bascule de la couleur rouge à la couleur verte en exprimant la GFP.

Ces cellules, facilement triables par cytométrie, présentent des caractéristiques de cellules souches cancéreuses. Elles prolifèrent indépendamment de l’ancrage à une membrane basale et forment des sphères. Entre autres, elles présentent un programme transcriptionnel distinct avec un métabolisme accru et une plus grande résistance au stress oxydatif et aux contraintes de cisaillement. Ces propriétés leur confèrent un fort potentiel métastatique.

-Quel est le devenir de cellules cancéreuses avec mitochondries neuronales ?

Ces cellules peuvent être « pistées » dans un modèle murin de cancer du sein grâce au MitoTRACER. Elles sont retrouvées dans la tumeur primaire (5,4% des cellules tumorales) et en bien plus grande proportion dans les métastases pulmonaires (27,3%) et cérébrales (46%).

Dans un modèle murin de mélanome, cet enrichissement était également retrouvé mais spécifiquement dans les métastases cérébrales.

-Est-ce que ce phénomène existe chez l’Homme ?

Il semble que oui.

Les cellules de cancer de prostate à proximité de neurones présentent un enrichissement mitochondrial sur les biopsies de patients.

Les biopsies de métastases de cancer du sein issues de patientes présentent plus de mitochondries que les tumeurs primitives.

Ce travail démontre donc l’existence d’un transfert direct d’organelles au sein du microenvironnement tumoral primitif sans étape microvésiculaire. Cette interaction entre neurones et cellules cancéreuses apporte une explication mécanistique plausible à la formation de métastases cérébrales.