Journal Club Octobre 2025 – proposé par Véronique GIGOUX (Centre de Recherche en Cancérologie de Toulouse)

En conclusion, l’inhibition multi-sélective de RAS(ON) constitue une stratégie doublement innovante, ciblant à la fois la signalisation oncogénique et la réactivation immunitaire du MET. Les résultats précliniques démontrent une synergie puissante avec les anticorps anti-PD-1 et les combinaisons immuno-modulatrices (CD40 agoniste, anti–CTLA4), ouvrant la voie à des réponses complètes durables. Au-delà de ces observations expérimentales, cette approche présente un intérêt translationnel majeur : elle pourrait offrir une option thérapeutique post-résistance pour les patients ayant développé une résistance secondaire aux thérapies ciblant spécifiquement une mutation KRAS. Le daraxonrasib, inhibiteur pan-RAS de nouvelle génération, fait actuellement l’objet d’une évaluation clinique dans les tumeurs solides KRAS-mutées, y compris le PDAC, avec des résultats préliminaires prometteurs (essai NCT05379985). Les prochaines étapes viseront à confirmer la tolérance et la durabilité de cette stratégie, à identifier les biomarqueurs prédictifs de réponse et à définir les combinaisons optimales avec l’immunothérapie afin de maximiser les rémissions complètes. Ainsi, l’inhibition multi-sélective de RAS(ON) s’impose comme une nouvelle voie thérapeutique immuno-sensibilisatrice prometteuse en oncologie

Introduction :

Les oncogènes de la famille RAS (KRAS, NRAS, HRAS), mutés dans environ 30 % des cancers humains, notamment dans l’adénocarcinome pancréatique (PDAC), les cancers du poumon et du côlon, jouent un rôle central dans la carcinogenèse. Longtemps considérées comme inatteignables, les thérapies ciblant KRAS ont récemment révolutionné l’oncologie de précision grâce à l’émergence d’inhibiteurs sélectifs des formes mutées. Les composés actuellement utilisés en clinique, sotorasib (AMG 510) et adagrasib (MRTX 849), ciblent l’allèle KRAS^G12C, piégeant la protéine sous sa forme GDP inactive. Ces molécules ont démontré une efficacité significative dans le cancer bronchique non à petites cellules. Toutefois, les réponses sont rarement durables, une résistance apparait notamment suite à l’acquisition de mutations secondaires sur l’oncogène KRAS, ou d’autres effecteurs des voies de signalisation MAPK et PI3K/AKT/mTOR. Pour surmonter ces limitations, des inhibiteurs multi-sélectifs ou pan-RAS, tels que RMC-7977 ou son dérivé, daraxonrasib (RMC-6236), ont été développés. Ces composés ouvrent une voie thérapeutique innovante : en ciblant simultanément les formes actives (RAS-GTP) de RAS mutants et sauvage, il bloque la signalisation oncogénique tout en reprogrammant le microenvironnement tumoral (MET) vers un état immunostimulant.

Résumé de l’étude :

Dans ce contexte, l’article « T-cell Dependency of Tumor Regressions and Complete Responses with RAS(ON) Multi-selective Inhibition in Preclinical Models of Pancreatic Ductal Adenocarcinoma » explore le rôle des cellules T dans l’efficacité des inhibiteurs multi-sélectifs Pan-Ras ou RAS(ON), daraxonrasib (RMC-6236) et RMC-7977, dans des modèles murins immunocompétents de PDAC (tumeurs sous-cutanées ou orthotopiques transplantées à partir du modèle transgénique C57BL/6 KPC : mutations KrasG12D et Trp53R172H). Ces composés ciblent simultanément les formes actives (liées au GTP) de KRAS, NRAS et HRAS, incluant les variants mutants et sauvages, bloquant les interactions RAS–effecteurs essentielles à la signalisation oncogénique.

Les auteurs démontrent que l’inhibiteur Pan-Ras induit une régression rapide et profonde des tumeurs pancréatiques, corrélée au niveau basal d’infiltration des lymphocytes T. Dans les tumeurs riches en cellules T, 90% des souris présentaient une régression complète, tandis que les tumeurs pauvres en infiltration T restaient partiellement sensibles avec 100% des souris présentant une régression tumorale mais aucune régression complète. L’analyse immunohistologique révèle une diminution des cellules myéloïdes suppressives (MDSC) et une augmentation des macrophages, des lymphocytes CD4+ et des lymphocytes CD8+ effecteurs (expression de Granzyme B plus élevée) et mémoires (CD44+, CD62L+) dans les tumeurs, témoignant d’une restauration de l’immunocompétence tumorale. Des expériences de déplétion des lymphocytes CD4+/CD8+ et l’utilisation de souris déficientes en cellules dendritiques (Batf3–/–) confirment la dépendance de l’activité anti-tumorale des inhibiteurs multi-sélectifs Pan-Ras (daraxonrasib et RMC-7977) à la réponse T cellulaire, dans les tumeurs qui présentaient une forte infiltration en lymphocytes T.

De plus, la combinaison du daraxonrasib avec un anticorps anti-PD-1 renforce la réponse antitumorale, prolonge la survie sans progression et conduit à des rémissions complètes durables (4/10 souris pour la combinaison versus 1/10 avec daraxonrasib et 0/10 avec anti-PD-1), dans les tumeurs fortement infiltrées. Pour les tumeurs peu infiltrées, l’ajout d’une immunothérapie combinée (CD40 agoniste + anti-CTLA4 + anti-PD-1) ou d’une chimiothérapie (gemcitabine/Abrax), potentialise l’activité anti-tumorale de l’inhibiteur RMC-7977.

Ainsi, l’inhibition multi-sélective de RAS(ON) agit à la fois sur la signalisation tumorale intrinsèque et sur la reprogrammation immunitaire du microenvironnement tumoral. Ces résultats soutiennent le développement clinique de stratégies combinées RAS(ON) + immunothérapie pour surmonter la résistance du PDAC et induire des rémissions complètes via la réactivation des lymphocytes T effecteurs.

Points forts :

  1. Inhibition multi-sélective de RAS(ON)
    • Les inhibiteurs Pan-Ras ou RAS(ON), RMC-7977 et daraxonrasib, ciblent simultanément les formes actives de RAS (mutantes et sauvage), bloquant la signalisation oncogénique.
  2. Régressions tumorales profondes dans le PDAC
    • Les inhibiteurs Pan-Ras induisent des régressions importantes ou complètes dans des modèles murins immunocompétents, dépendant du niveau d’infiltration des lymphocytes T.
  3. Reprogrammation immunitaire du microenvironnement tumoral (MET)
    • Les inhibiteurs RMC-7977 et daraxonrasib induisent une diminution de l’infiltration des MDSC, une augmentation des macrophages, des lymphocytes CD4+ et des lymphocytes CD8+ cytotoxiques.
  4. Dépendance aux lymphocytes T et cellules dendritiques
    • Les effets anti-tumoraux des inhibiteurs Pan-Ras disparaissent après déplétion des CD4+/CD8+ ou en absence de cellules dendritiques, confirmant la dépendance à l’immunité adaptative.
  5. Synergie avec les immunothérapies
    • Les combinaisons d’inhibiteurs Pan-Ras + anti-PD-1 ou inhibiteurs Pan-Ras + CD40 agoniste + anti-CTLA4 + anti-PD-1 renforcent les réponses et induisent des rémissions durables.
  6. Perspective translationnelle
    • Les inhibiteurs Pan-Ras agissent comme sensibilisateurs immunitaires dans le PDAC, ouvrant la voie à des combinaisons thérapeutiques innovantes en clinique

Léa FEVRIER (CRCT, étudiante en thèse) a participé à la rédaction de cet article