Journal Club Juin 2025 – proposé par Olivier CALVAYRAC (Centre de Recherche en Cancérologie de Toulouse)

Les mutations acquises avec l’âge dans les cellules sanguines (CHIP et TI-CH) jouent un rôle actif dans la progression du cancer du poumon. En particulier, les mutations du gène TET2 favorisent l’infiltration de cellules immunitaires mutées dans la tumeur, stimulant la croissance des cellules cancéreuses. Ces avancées ouvrent des perspectives nouvelles pour identifier les patients les plus à risque et, à l’avenir, pour développer des traitements ciblant l’inflammation et la prolifération de ces clones sanguins. Comprendre comment ces mutations liées au vieillissement influencent les cancers permettra d’adopter une approche plus complète et personnalisée dans la lutte contre le cancer

La compréhension de l’évolution du cancer a beaucoup évolué au fil des années. On sait maintenant qu’il ne suffit pas d’une accumulation de mutations dans les cellules cancéreuses : le microenvironnement, le système immunitaire, l’exposition aux agents environnementaux et le vieillissement contribuent aussi à la progression des cancers.

Une découverte récente faite par plusieurs équipes de Recherche, notamment à Londres (Angleterre), aux Etats-Unis, et en collaboration avec l’équipe d’oncologie clinique computationnelle de l’Institut Gustave Roussy (Villejuif, France), met en lumière un acteur inattendu du développement des tumeurs: les mutations dans les cellules sanguines, qui apparaissent naturellement avec l’âge, appelées CHIP (clonal hematopoiesis of indeterminate potential). Le phénomène CHIP est un vieillissement « caché » des cellules sanguine au cours duquel les cellules souches de la moelle osseuse accumulent des mutations sur certains gènes tels que DNMT3A, TET2, ASXL1 ou PPM1D, entre autres, leur donnant ainsi un avantage sélectif conduisant à la formation de clones circulant dans le sang. Bien que très souvent silencieux, ces clones augmentent le risque de certaines maladies, et notamment, comme mis en lumière dans cette publication, de cancers solides comme le cancer du poumon. Ces clones, lorsqu’ils s’infiltrent dans les tumeurs, sont appelés TI-CH (tumor-infiltrating clonal hematopoiesis). Ils sont présents chez un quart des patients porteurs de CHIP, représentant environ 6 % des cas de cancers solides. Certains cancers, comme le cancer du poumon non à petites cellules (NSCLC), la tête et le cou, le pancréas et le mésothéliome, sont particulièrement touchés.

L’étude, réalisée sur plusieurs milliers de patients, montre que dans le cancer du poumon, 42 % des patients porteurs de CHIP ont des clones TI-CH, et que leur présence est associée à augmentation significative du risque de décès ou de récidive. Cela indique que ces clones sanguins ne sont pas de simples spectateurs : ils participent activement à l’évolution des cancers ! Parmi les différentes mutations identifiées dans le CHIP, la mutation du gène TET2 semble jouer un rôle majeur. Cette mutation est associée à un risque plus élevé d’avoir des clones TI-CH et, par conséquent, à des résultats cliniques plus défavorables chez les personnes atteintes de cancer du poumon. Des études expérimentales sur des modèles animaux de cancer du poumon ont permis de mieux comprendre le rôle de TET2. Chez la souris, lorsque les cellules sanguines portent cette mutation, elles infiltrent davantage les tumeurs. Plus précisément, les monocytes mutés (un type de globules blancs) migrent plus facilement vers les cellules tumorales et deviennent des macrophages, des cellules connues pour leur rôle dans l’inflammation et la progression du cancer. Dans des cultures en laboratoire (appelées organoïdes tumoraux), les macrophages portant la mutation TET2 stimulent davantage la croissance des cellules cancéreuses que les macrophages normaux. Cela renforce l’idée que ces clones mutés participent activement à l’évolution de la tumeur.

Ces résultats ont des implications cliniques importantes. D’abord, ils suggèrent que la simple présence de mutations dans les cellules sanguines liées à l’âge peut influencer directement l’évolution des tumeurs. Cela pourrait permettre de mieux identifier les patients à risque de rechute ou de progression rapide, grâce à des tests sanguins détectant ces mutations. Ensuite, ces travaux soulignent l’importance de comprendre l’interaction entre les cellules immunitaires mutées et les cellules cancéreuses. Les macrophages porteurs de la mutation TET2 produisent des molécules qui favorisent la croissance tumorale, comme l’interleukine-6, le facteur plaquettaire 4, et des chémokines (CXCL1, CXCL2). Ces molécules sont connues pour stimuler la prolifération des cellules cancéreuses dans différents modèles expérimentaux.

Ces découvertes changent profondément la manière dont on voit le cancer. Elles montrent qu’un phénomène lié au vieillissement dans un tissu (le sang) peut influencer la croissance de tumeurs dans un autre tissu (le poumon, par exemple). Cette vision plus large de l’évolution du cancer intègre désormais l’idée que le vieillissement et les clones somatiques acquis (les clones qui apparaissent spontanément avec l’âge) peuvent interagir avec l’inflammation et d’autres processus pathologiques. Comme ces clones sont très fréquents chez les personnes âgées (on parle de mosaïcisme somatique), il est possible que d’autres interactions similaires soient découvertes dans les années à venir, avec d’autres types de cancers ou de maladies liées à l’âge. Ces connaissances pourraient inspirer des stratégies de prévention inédites, visant à limiter la prolifération de ces clones sanguins ou à réduire l’inflammation qu’ils génèrent

Tumor-Infiltrating Clonal Hematopoiesis, N Engl J Med. 2025 Apr 24. doi: 10.1056/NEJMoa2413361