Journal Club Février 2025, Analysé par Pierre Cordelier (Centre de Recherches en Cancérologie de Toulouse)

Early detection of pancreatic cancer by a high-throughput protease-activated nanosensor assay.

Sci Transl Med. 2025 Feb 12;17(785):eadq3110. doi: 10.1126/scitranslmed.adq3110.

Jose L Montoya Mira, Arnaud Quentel, Ranish K Patel, Dove Keith, Megan Sousa, Jessica Minnier, Benjamin R Kingston, Larry David, Sadik C Esener, Rosalie C Sears, Charles D Lopez, Brett C Sheppard, Utkan Demirci, Melissa H Wong, Jared M Fischer

Le cancer du pancréas reste l’un des cancers les plus agressifs, avec un diagnostic souvent tardif qui limite les options thérapeutiques et réduit les chances de survie des patients. L’amélioration de la prise en charge repose sur le développement de tests diagnostiques précoces et précis, permettant d’identifier la maladie avant l’apparition de symptômes avancés. Dans cette optique, les biopsies liquides émergent comme une approche prometteuse, offrant une alternative minimalement invasive aux biopsies tissulaires conventionnelles. Cette stratégie ouvre la voie à un diagnostic plus précoce, un suivi dynamique de la maladie et une meilleure adaptation des traitements en temps réel. Leur développement constitue ainsi un enjeu majeur pour améliorer la détection et la prise en charge du cancer du pancréas.

Toute avancée significative rapportée dans la littérature scientifique constitue une nouvelle encourageante dans ce domaine. Récemment, les travaux du laboratoire du Prof. Fisher, à l’Oregon Health & Science University, publiés dans Science Translational Medicine, décrivent une nouvelle stratégie de détection non invasive du cancer du pancréas. Cette approche repose sur la mesure de l’activité de protéases sériques, dont le niveau est généralement plus élevé chez les patients atteints de cancer.

L’étude débute par la caractérisation de la spécificité pour le cancer du pancréas de 12 sondes couvrant 26 sites de clivage spécifiques aux protéases et 11 sites partagés, ciblant au total près de 100 protéases différentes. Sur un faible nombre d’échantillons (sérum de 6 témoins vs 6 patients atteints de tumeurs), trois sondes présentent une spécificité comparable à celle du marqueur CA19-9, utilisé ici comme référence pour la détection du cancer, comparativement au groupe témoin regroupant donneurs sains, patients atteints de pancréatites ou porteurs de lésions prénéoplasiques. L’un des candidats, la sonde n°2, montre une activité intéressante dans la détection des lésions prénéoplasiques ; malheureusement, la positivité pour les pancréatites compromet son utilité pour la détection précoce du cancer. Comme souvent, la spécificité des sondes augmente avec le stade tumoral (II-IV), tandis que les lésions de bas grade (I, II), dont certaines sont opérables, ne sont pas différenciées.

À la suite de cette étude préliminaire, les auteurs sélectionnent une sonde capable de distinguer le PDAC des témoins avec une précision de 79%. Cette sonde semble être sensible aux métalloprotéases matricielles (MMP), bien que leur nature exacte reste à déterminer. Il semblerait également que ce soit davantage l’activité enzymatique que l’expression protéique qui soit discriminante.

L’intérêt majeur de cette étude réside dans l’innovation technologique qui l’accompagne : le développement d’un test rapide basé sur des nanocapteurs magnétiques, baptisé PAC-MANN (Protease Activity-based Assay using a Magnetic Nanosensor). Ce dispositif mesure le clivage de la sonde par les protéases sériques grâce à un signal fluorescent simple. Cette avancée constitue une simplification notable du protocole expérimental, remplaçant l’électrophorèse sur gel, aux performances limitées en termes de fiabilité et de reproductibilité, par un système intégré réduisant le temps d’obtention des résultats. De plus, le design de la sonde a été optimisé pour minimiser la protéolyse non spécifique. Cette innovation, nécessitant seulement 8 µL de sérum, offre une gamme de détection étendue (x7), bien qu’au prix d’un bruit de fond plus élevé (x3) et d’une corrélation relativement moyenne avec les résultats obtenus grâce au système original.

Une fois encore, la distinction est nette entre les donneurs sains et les patients atteints d’un cancer avancé, alors que les lésions prénéoplasiques restent indétectables. Dans une petite cohorte longitudinale de patients ayant subi une résection chirurgicale de la tumeur primaire, le signal de clivage de la sonde a été réduit de 16 % après l’intervention. Il est toutefois regrettable que les auteurs n’aient pas exploré si cette approche pouvait anticiper une rechute. Des résultats similaires ont été obtenus chez des patients ayant reçu une chimiothérapie (n=26), bien que leur interprétation soit délicate en l’absence de données pré-thérapeutiques de référence.

Dans une autre étude rétrospective en aveugle, le test PAC-MANN a identifié les échantillons de cancer avec une spécificité de 98 % et une sensibilité de 73 % tous stades confondus. Il a également distingué à 100 % le groupe témoin du groupe de patients atteints de cancer du pancréas. Cette fois, les cohortes sont plus conséquentes (n=246 pour les témoins sains, pancréatites et lésions prénéoplasiques ; n=120 pour le groupe cancer, tous stades confondus). La sensibilité du test atteint 50 % pour les stades précoces (grades I et II) et 90 % pour les stades avancés (grades III et IV). Lors du test de spécificité le plus strict, 100 % des échantillons du groupe témoin sont correctement exclus, mais seulement 58 % des cancers sont détectés. Comme dans les précédentes expériences, l’association du test PAC-MANN au dosage du CA19-9 améliore la sensibilité, qui passe de 58 % à 71 %. En revanche, si le seuil de spécificité est fixé à 90 %, 50 cancers sur 55 sont correctement détectés, mais 42 échantillons sains sur 123 (34 %) sont faussement classés comme cancéreux. Ainsi, bien que la combinaison avec le CA19-9 améliore les performances, elle demeure encore insuffisante pour entrevoir une implémentation clinique à grande échelle.

Le test PAC-MANN représente une méthode rapide et à haut débit, nécessitant de faibles volumes sanguins, et possède un fort potentiel pour améliorer la détection du PDAC. Toutefois, des études prospectives sur des populations à haut risque seront nécessaires avant toute mise en œuvre clinique. Il serait également pertinent d’évaluer ce test dans un contexte de suivi post-chirurgical, notamment pour détecter précocement une rechute, à l’instar des récents développements autour de l’ADN tumoral circulant. Aussi, il reste à démontrer la valeur pronostique du test. Par ailleurs, si sa simplification est aboutie, cette technologie pourrait être utilisée en amont du parcours de soin, facilitant ainsi l’orientation rapide des patients vers des structures spécialisées, sachant qu’il est désormais bien établi que la prise en charge du cancer du pancréas est plus efficace dans des centres experts. Dès lors, un test accessible, peu coûteux et suffisamment fiable pour un premier triage des patients pourrait s’avérer essentiel pour accélérer le diagnostic et améliorer la prise en charge.

En définitive, au-delà de la prouesse technologique, cette étude confirme que le chemin reste long avant d’identifier des biomarqueurs en capacité de discriminer les formes précoces du cancer du pancréas, mais également leur rechute. La synergie entre chercheurs et cliniciens sera déterminante pour atteindre cet objectif ambitieux, pour le plus grand bénéfice des patients atteints de ce cancer.