Novembre 2024, Nadine Houédé (Université de Montpellier)

Cellular adaptation to cancer therapy along a resistance continuum.

Nature. 2024 Jul;631(8022):876-883.

França GS, Baron M, King BR, Bossowski JP, Bjornberg A, Pour M, Rao A, Patel AS, Misirlioglu S, Barkley D, Tang KH, Dolgalev I, Liberman DA, Avital G, Kuperwaser F, Chiodin M, Levine DA, Papagiannakopoulos T, Marusyk A, Lionnet T, Yanai I.

Les avancées dans le domaine de l’oncologie, ont permis de développer de nouvelles thérapeutiques dites personnalisées. Cependant, l’efficacité de ces traitements est souvent limitée dans le temps, par un processus adaptatif qui favorise l’apparition de phénomènes de résistance.

L’article intitulé “Cellular adaptation to cancer therapy along a resistance continuum”, de l’institut « Computational Medicine » de New York, explore cette adaptation des cellules cancéreuses aux pressions thérapeutiques au cours du temps. Pour cela, les auteurs ont utilisé une lignée de cancer de l’ovaire muté pour BRCA2 (Kuramushi) qu’ils ont exposé graduellement à des concentrations croissantes de l’inhibiteur de PARP Olaparib (1 ; 2,5 ; 5 ; 10 ; 20 ; 40 ; 80 ; 160 ; et 320 µM), établissant ainsi 9 lignées résistantes adaptées. Ils montrent que cette adaptation est progressive et qu’elle n’est pas liée à la sélection de clones préexistant dans la population initiale mais se fait par transition d’un état cellulaire à un autre. Ils confirment cette observation dans deux autres lignées ovariennes mutées BRCA (Ovsaho et COV362) ainsi que dans la lignée de mélanome BRFA mutée exposée au dabrafénib, et la lignée de poumon PC9 exposée à l’omisertib. Ils montrent par ailleurs que l’exposition graduelle au médicament permet une adaptation des cellules à résister plus rapide qu’une exposition prolongée à une même concentration ou qu’une exposition directe à une concentration élevée.

Dans le but de caractériser « l’état » des cellules lors de cette adaptation au médicament, les auteurs ont réalisé un séquençage sur cellule unique pour chaque lignée résistante et comparé les profils d’expressions obtenus. Ces profils (regroupés en 6 modules) mettent en évidence différentes sous-populations dans chaque lignée mais ils varient également entre les différents stades de résistance. Aux stades précoces, ce sont les gènes de lignage (SOX17) et de marqueurs épithéliaux qui sont exprimés ainsi que des gènes de réponse à l’interféron, signe de dommages à l’ADN. Aux stades suivants on note à la fois l’expression de marqueurs épithéliaux et mésenchymateux reflétant un état hybride de transition. A un stade de résistance plus avancée on retrouve l’expression de gène de remodelage de la matrice extracellulaire, de gènes impliqués dans la transition épithélio-mésenchymateuse (EMT), de gènes impliqués dans l’hypoxie et l’expression de marqueurs de cellules souches, attestant de la dédifférentiation des cellules au cours de l’acquisition de la résistance. Dans les lignées les plus résistantes, les profils d’expression observés traduisent plutôt une reprogrammation métabolique des cellules avec notamment l’expression de HIF1A, de gènes impliqués dans la glycolyse ou ayant un rôle protecteur contre les dommages oxydatifs et la ferroptose.

Les auteurs ont ensuite voulu démontrer le rôle du processus de dédifférentiation (mis en évidence dans l’étude transcriptomique) dans l’acquisition de la résistance en jouant sur l’expression de SOX17 ou sur l’EMT. Ils montrent que la ré-expression de SOX17 dans la lignée la plus résistante a un effet sensibilisateur à l’olaparib et qu’à l’inverse la préression de SOX17 dans la lignée sensible induit une résistance à l’inhibiteur de PARP. Dans la même veine, l’induction de l’EMT (par surexpression de slug) dans la lignée sensible induit une résistance partielle à l’Olaparib. Ces résultats mettent en lumière le rôle clé de l’EMT et de la plasticité cellulaire dans l’acquisition du phénotype de résistance.

En parallèle de l’analyse transcriptomique, les auteurs ont également analysé les altérations du nombre de copies des gènes (CNA) et le degré d’accessibilité à la chromatine dans les différentes lignées résistantes. Ils montrent que malgré la présence de certaines CNA, ces dernières ne peuvent expliquer à elles seules l’acquisition de la résistance. Le degré d’accessibilité à la chromatine quant à lui varie avec le niveau de résistance avec une modification importante du nombre de régions accessibles au cours de la montée en résistance. On note par exemple une diminution progressive de régions d’accessibilité à SOX17 et en parallèle une augmentation du nombre de régions d’accessibilité à des facteurs régulant la réponse au stress comme AP1, NRF2 et ATF4, ce phénomène étant partiellement réversible dans le cas où les cellules résistantes sont cultivées en absence de médicament. Ces résultats indiquent que cette reprogrammation épigénétique est impliquée dans le processus d’adaptation aux médicaments impliquant une dédifférenciation progressive et le recrutement dynamique de régions régulatrices impliquées dans la réponse au stress.

Les auteurs présentent également des résultats in vivo sur un modèle PDX HSGOC muté pur BRCA2 traité par le talazoparib et confirment par les mêmes types d’analyses les résultats obtenus in vitro. Enfin, les auteurs ont testé la dépendance aux modifications métaboliques, par un crible utilisant une banque CRISPR-Cas9 ciblant des gènes impliqués dans le métabolisme. Ils montrent que la reprogrammation métabolique observée au cours de l’acquisition de la résistance implique un ensemble de gènes sous contrôle de NRF2 incluant des gènes de régulation de la balance REDOX, des gènes de la glycolyse, des gènes impliqués dans l’homéostasie du fer, des gènes impliqués dans la synthèse des nucléotides ainsi que des gènes régulant l’activité oxydative des mitochondries. Ils valident ces résultats en montrant que l’association de l’Olaparib avec un inhibiteur de glutaminase (CB-839) qui déplète le glutamate, facteur clé pour la production de glutathion et la biosynthèse de nucléotide, permet de restaurer la sensibilité des cellules résistantes à l’inhibiteur de PARP.

En résumé, cet article met en lumière la nature dynamique de l’adaptation cellulaire à un stress médicamenteux. Ces résultats ont plusieurs implications potentielles en clinique : (1) Comprendre le continuum de résistance permet de proposer des combinaisons thérapeutiques qui ciblent non seulement les cellules cancéreuses mais aussi les mécanismes adaptatifs sous-jacents ; (2) La vitesse d’apparition de la résistance, lié au type tumorale et à la pression thérapeutique plus ou moins longue et plus moins forte, pourraient être utilisés pour sélectionner les patients en fonction de leur probabilité de réponse à certaines thérapies ; (3) Les étapes de transition cellulaire et les programmes d’expression génique identifiés pourraient servir de biomarqueurs pour surveiller la progression de la maladie et l’efficacité des traitements en temps réel.